Un article culturellement ludique, mais politiquement orienté
L’article visuel publié le 2 mai 2025 par Le Monde, intitulé « 125 destinations pour faire le tour du monde sans quitter la France (ou l’Europe) », s’inscrit dans une tendance de saison : valoriser les traces de l’ailleurs dans le territoire français. Le principe est attractif, la carte bien conçue, l’invitation au voyage culturelle réussie. Mais une lecture attentive révèle un phénomène plus troublant : l’éviction discrète de l’Algérie de la représentation symbolique positive.
Une présence algérienne effacée de la France profonde
Dans toute la carte, l’Algérie n’apparaît que deux fois, et encore : à travers une allusion architecturale à Grenade (Espagne), et une réminiscence urbaine dans un village italien. Aucun drapeau à Paris, Marseille, Lyon ou Lille. Rien dans les quartiers populaires, les rues portant des noms d’anciens combattants ou de villes algériennes, aucune mention des millions de personnes liées à l’Algérie qui vivent en France. Ce n’est pas un oubli : c’est un angle mort.
Une surreprésentation de l’Algérie quand l’image est négative
Car dans le traitement médiatique français, l’Algérie est sur-représentée quand il s’agit de tensions, de violences, de discours islamistes ou de mémoires douloureuses. Mais elle est systématiquement écartée lorsqu’il s’agit de soft power positif, d’héritage culturel, d’apports humains ou artistiques. Le Maroc, en revanche, est très présent dans la carte du Monde : Riad de Vichy, Montagne des singes en Alsace, même la grande mosquée de Paris lui est attribuée !
La Grande Mosquée de Paris : symbole déplacé
Cette dernière mention est peut-être la plus révélatrice. Qualifiée de « mosquée marocaine de Paris », elle est décrite comme inspirée de Fès et inaugurée par le sultan du Maroc. On oublie commodément qu’elle fut construite pour honorer les soldats musulmans de la Première Guerre mondiale, à plus de 80 % algériens, et que sa gestion est historiquement liée à l’État algérien. Aujourd’hui encore, elle est l’un des symboles centraux des tensions franco-algériennes, objet de méfiance de la droite française pour ses liens présumés avec Alger.
Un choix narratif et géopolitique assumé ?
Attribuer la mosquée de Paris au Maroc, c’est bien plus qu’une approximation : c’est une opération de déplacement symbolique. Cela revient à effacer l’Algérie là même où elle est historiquement centrale, pour la remplacer par un voisin maghrébin jugé plus « consensuel » dans l’imaginaire français.
Cet article de Le Monde est donc typique d’un biais médiatique plus profond : l’éviction douce de l’Algérie des champs culturels positifs, alors même qu’elle est omniprésente dans la France réelle. Cette invisibilisation ne tient pas à un oubli. Elle relève d’un choix narratif et peut-être même d’une volonté géopolitique, celle de reconfigurer les représentations du Maghreb en France selon des affinités stratégiques.
Une géographie du silence
La carte est bien faite. Mais sa géographie parle aussi par ses silences. Et ces silences, parfois, sont bruyants.