L’esprit Saint Augustin
Dans une époque d’inquiétude identitaire, la BBC Arabic s’autorise une caresse inattendue : “L’Algérie deviendra-t-elle un lieu de pèlerinage pour les catholiques du monde ?” demande-t-elle. On aurait cru à une provocation ; il n’en est rien. Sous l’ombre d’un nouveau pape latiniste, l’Église redécouvre son passé africain, et l’article déroule une hypothèse lumineuse : celle d’un pèlerinage post-moderne vers Thagaste, ville natale d’Augustin. “L’Église pourrait regarder à nouveau vers l’Afrique du Nord comme un berceau oublié.”Dans ce cas, le regard médiatique n’est ni inquiet ni condescendant, mais presque nostalgique, comme si l’Algérie pouvait redevenir un pont de civilisation, au-delà des dogmes.
Les Juifs d’Algérie, mémoire ou stratégie ?
Chez i24NEWS, l’obsession est ailleurs : dans les noms juifs algériens à la mode, les grands-parents d’anciens officiers israéliens nés à Oran ou Constantine, les figures prestigieuses déterrées à point nommé. “Son grand-père était l’un des notables juifs d’Algérie…” Le propos est habillé de mémoire, mais le narratif est politique. Il s’agit d’intégrer l’Algérie dans une généalogie israélienne, comme pour dire : vous nous avez oubliés, nous vous gardons dans nos archives. C’est une tentative de reterritorialisation mémorielle. Elle peut séduire, mais elle instrumentalise plus qu’elle n’éclaire.
Paris parle d’Algérie à huis clos
Pendant ce temps, l’Élysée organise des réunions sur l’Algérie, mais sans l’Algérie. France 24, Sky News Arabia, Asharq al-Awsat : tous relatent que “Macron a tenu une réunion pour évaluer l’état des tensions avec Alger”. L’Algérie y est objet, jamais sujet. Un cas à gérer. Une crise à contenir. Le tout dans un lexique froid : “élaborer des réponses, anticiper les conséquences migratoires, sécuritaires, mémorielles…” On lit entre les lignes que l’Algérie dérange parce qu’elle n’entre plus dans les cases post-coloniales convenues. Elle parle Russie, Palestine, Afrique, islam politique — trop pour l’agenda euro-atlantiste.
L’isolement algérien, ou le souhait qu’il le soit
Dans Middle East Online, un titre : “L’Algérie tente de briser son isolement par des dizaines de projets”.
Le choix du mot “isolement” est révélateur. Aucun chiffre, aucune voix algérienne ne le confirme, mais le narratif est lancé. L’Algérie est peinte comme une forteresse inquiète, qui multiplie les accords par besoin, non par stratégie. Là encore, l’influence prime sur l’information : l’Algérie est dépeinte selon les besoins d’un axe, pas selon ce qu’elle fait ou dit réellement.
La culture, angle mort ou espoir ?
Deux exceptions réchauffent cette cartographie froide : le décès du cinéaste Mohammed Lakhdar-Hamina, salué avec sobriété par France 24, et le très beau papier d’Al-Araby Al-Jadeed sur les dramaturges algériens oubliés dans leur propre pays. “Cent ans de théâtre, et toujours ce sentiment d’être marginaux.” Ces récits culturels, bien que rares, montrent une Algérie vivante, débattant avec elle-même, riche de mémoire et d’espoir. Quand la politique déforme, la culture nuance.
L’Algérie vue, mais rarement écoutée
Dans cette revue de presse arabe, les intentions éditoriales varient, mais une constante demeure : on parle de l’Algérie plus qu’on ne l’écoute. On la convoque comme référence spirituelle, comme problème géopolitique, comme vestige juif, comme anomalie stratégique. Et pourtant, derrière ces récits, une question sourde demeure : à qui appartient le droit de dire l’Algérie ? Aux anciens colons, aux voisins inquiets, aux alliés oubliés, ou aux enfants de Saint Augustin et de l’Émir Abdelkader réunis ?