On entend, de temps en temps — quand une caméra s’allume ou qu’un micro passe — quelques voix sérieuses, cravatées, parisiennes, dire :
« Il faut que l’Algérie tourne la page. »
« Que l’on cesse de faire de la France un ex colonisateur éternel. »
« Que l’Algérie nous oublie. »
Paroles. Encore des paroles.
Comme disait Coluche,
« Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison. »
Parce que dans les faits, dans les Unes, dans les brèves, dans les reportages, l’Algérie n’est pas oubliée. Elle obsède. Elle irrigue nos récits, structure nos peurs, alimente nos disputes politiques. Elle est là, toujours là, présente dans l’ADN de la République, comme une vieille photo de famille qu’on cache dans un tiroir mais qu’on n’arrive pas à brûler.
Et comme le disait De Gaulle, à propos de ce rapport si particulier :
« Des liens anciens, profonds, mêlés, passionnés… et tragiques. »
Toujours d’actualité.
Tous les spectres y passent
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La mémoire, avec Benjamin Stora qui nous rappelle que « le travail de mémoire sur la colonisation est encore à faire ». Traduction : la France regarde l’Algérie avec nostalgie, mais sans lucidité.
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La justice, avec les familles de rapatriés. Les blessures sont toujours ouvertes.
Et comme disait Kateb Yacine :
« La francophonie est notre butin de guerre. »
Encore faut-il en assumer les cicatrices.
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La sécurité, toujours. Un général à la DGSI, et c’est l’alerte rouge. Parce que chaque nomination algérienne est lue à Paris comme un symptôme d’autoritarisme. Étrange grille de lecture…
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L’immigration, mise en chiffres, en pourcentages, en soupirs de préfecture. Un tiers des CRA serait algérien ? Et alors ? La statistique devient suspicion.
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La culture, elle, élève et déchire. Boualem Sansal, écrivain libre, enfermé.
Victor Hugo aurait soufflé :
« C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. »
De l’enfermement des libres que naissent les hommages internationaux.
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Le sport, même là, rien n’est simple. Rayan Cherki, ce gamin de Lyon, devient un symbole malgré lui. Français, Algérien, trop libre pour être assigné.
Théâtre franco-algérien, acte 154
Il n’y a pas de hasard. Il y a une névrose partagée.
L’Algérie est un miroir que la France supporte mal.
Et la France est un reflet que l’Algérie refuse d’admirer.
Mais à chaque fois, c’est dans la presse française que le récit commence. Avec toujours ce petit ton d’exaspération paternaliste. Cette phrase qu’on connaît tous :
« Pourquoi ils parlent encore de nous ? »
Parce que nous en parlons encore plus d’eux.
Et maintenant ?
Comme disait Camus, qui aimait Alger à la folie et la France à la douleur :
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
Il est temps de mieux nommer.
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De dire que Sansal est un écrivain, pas un instrument.
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Que l’Algérie ne se résume pas à des CRA, à des généraux, à des souvenirs piétinés.
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Que la France devrait se regarder avant de pointer.
Ce n’est pas d’un oubli qu’on a besoin.
C’est d’un récit franc, libre, apaisé.
Ni culpabilisant. Ni vengeur.
« La France ne sera elle-même que dans l’égalité avec ses enfants. Qu’ils viennent de Bretagne ou d’Oran. » — Édouard Glissant
Un jour viendra — peut-être — où l’actualité franco-algérienne ne sera plus une répétition tragique. Mais une page neuve. Une chronique apaisée. Une parole libre — sans barreaux, sans cris, sans peur.