Imane Khelif, championne de boxe algérienne, se retrouve une nouvelle fois au centre d’une tempête médiatique et institutionnelle. Alors qu’elle avait brillé aux Jeux de Paris en 2024 dans la catégorie des 66 kg, la boxeuse vient d’être suspendue par World Boxing, nouvelle organisation reconnue par le Comité international olympique (CIO), en raison d’un refus de test de féminité. Pour être réintégrée, elle devra se soumettre à un examen génétique déterminant son sexe biologique.
Pourtant, Imane Khelif a été née femme, déclarée comme telle à l’état civil, élevée comme fille par ses parents, et n’a jamais concouru ailleurs que dans les catégories féminines. Pourquoi ce doute ? Qui en est à l’origine ? Et surtout, que révèle cette affaire sur les rapports entre institutions sportives, genre, et politique ?
Une question d’équité ou un biais structurel ?
Les tests dits de “féminité” ou de “genre” existent depuis des décennies, et soulèvent toujours de lourdes controverses scientifiques et éthiques. Leur application est souvent aléatoire, discriminante, et les critères varient d’une fédération à l’autre.
Les partisans de ces tests avancent la question de l’équité entre athlètes, notamment lorsqu’il existe des taux de testostérone plus élevés que la moyenne féminine. Mais les critiques dénoncent un biais systémique, souvent dirigé contre des femmes non occidentales, jugées “hors norme” par rapport aux standards visuels ou médicaux imposés.
Les choix difficiles d’Imane Khelif
Aujourd’hui, Imane est placée dans une situation intenable. Si elle accepte le test, elle se soumet à un protocole intrusif, et potentiellement humiliant, aux yeux du monde entier. Si elle refuse, elle se ferme les portes des compétitions officielles. Trois options s’offrent à elle :
- Accepter le test, au risque de voir son intimité exposée.
- Contester la décision en invoquant le respect des droits humains et sportifs.
- Se retirer momentanément, en attendant un arbitrage plus juste.
Dans tous les cas, elle est déjà victime d’un procès public sans fondement officiel, et d’un système où les règles semblent plus politiques que scientifiques.
Des précédents lourds de sens
Imane Khelif n’est pas la première sportive à être confrontée à une telle mise en cause. Voici quelques exemples marquants, qui éclairent cette affaire :
Caster Semenya (Athlétisme, Afrique du Sud)
Championne olympique du 800 mètres, Caster Semenya a été soumise à des tests de féminité dès 2009. L’IAAF (aujourd’hui World Athletics) a imposé à certaines athlètes un traitement hormonal pour baisser leur taux de testostérone. Semenya a refusé. Elle a été exclue des compétitions internationales. Elle a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, qui lui a récemment donné raison en 2023, sans toutefois contraindre les fédérations à modifier leurs règles.
Dutee Chand (Athlétisme, Inde)
Sprinteuse indienne, Dutee Chand avait été suspendue pour hyperandrogénie en 2014. Elle a contesté sa disqualification devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), et obtenu gain de cause en 2015. Cette affaire a obligé World Athletics à revoir ses règlements, mais sans les annuler complètement.
Aminat Idrees (Taekwondo, Nigéria)
Sportive nigériane en para-taekwondo, Aminat Idrees a été critiquée pour avoir concouru enceinte de huit mois aux championnats nationaux. Bien que le cas ne touche pas directement la question du genre, il révèle une autre forme d’incompréhension culturelle sur le corps des sportives non occidentales.
Conflit entre organisations : une guerre d’influence
Ce qui complexifie encore le cas d’Imane Khelif, c’est le conflit entre plusieurs instances de la boxe mondiale :
- IBA (ancienne fédération internationale) : accusée de mauvaise gouvernance et de proximité avec la Russie, suspendue par le CIO.
- World Boxing : nouvelle fédération reconnue par le CIO, qui impose de nouveaux critères, y compris sur la question du genre.
- CIO : favorable à une approche plus inclusive, mais peu clair dans sa ligne directrice.
- Comités olympiques nationaux : souvent spectateurs impuissants, ou soumis à la ligne du CIO.
Ces luttes de pouvoir se font sur le dos des athlètes, transformés en symboles malgré eux.
Une athlète algérienne prise dans un engrenage mondial
Imane Khelif est aujourd’hui à la croisée de chemins douloureux. Ce qui aurait dû être une trajectoire d’excellence devient une épreuve de légitimation. Son cas révèle le malaise profond du sport mondial face aux questions de genre, d’identité, et de justice.
L’Algérie, à travers elle, doit poser des questions essentielles :
Comment protéger ses sportives ? Comment refuser que leur dignité soit négociable ? Et comment garantir que le sport reste un lieu de performance, pas de suspicion ou d’exclusion arbitraire ?