Depuis plusieurs semaines, un climat d’escalade graduelle se met en place entre Paris et Alger. Le ton monte, les accusations se multiplient, et les gestes symboliques se transforment en signaux diplomatiques de plus en plus lourds. À travers une série de révélations médiatiques et de prises de position, la France semble dérouler une stratégie bien rodée : faire pression, créer des dissensions internes au sein du pouvoir algérien, et réaffirmer une forme d’influence perdue sur son ancienne colonie. La question se pose : s’agit-il de faits avérés, ou d’une opération de communication politique savamment orchestrée à l’approche de l’élection présidentielle française ?
Première salve : l’information révélée par L’Express selon laquelle la France envisagerait de geler les avoirs de vingt dignitaires algériens. L’article ne cite aucun nom officiel, aucune source gouvernementale nommée, et s’appuie sur des « éléments exclusifs » qui ressemblent fort à des fuites calculées. Le but semble évident : créer une onde de choc dans les cercles du pouvoir à Alger. Car ces fuites, si elles ne sont pas confirmées, n’en sont pas moins efficaces. Elles alimentent un climat de suspicion, font peser une menace ciblée, et suscitent potentiellement des luttes de positionnement interne.
Ce n’est pas une hypothèse gratuite. Un précédent récent semble confirmer la méthode : l’ancien président du Sénat algérien a quitté ses fonctions peu après que son nom a été évoqué dans la presse comme l’un des responsables algériens possédant un bien immobilier en France. Une coïncidence ? Ou la première victime collatérale d’un jeu diplomatique habilement dissimulé derrière une façade juridique ?
L’affaire des biens immobiliers occupés par la diplomatie française en Algérie, révélée par l’APS et commentée avec ambiguïté par le Quai d’Orsay, s’inscrit dans ce même scénario. L’Algérie, selon son agence officielle, aurait convoqué l’ambassadeur de France pour exiger une révision de ces baux léonins, hérités de l’époque coloniale et prolongés sans réforme pendant des décennies. La France, elle, nie cette convocation, mais admet que le sujet est « régulièrement évoqué ». Là encore, on assiste à une gestion asymétrique de l’information : Paris nie les faits tout en se posant en victime d’une « hostilité algérienne ». Une dialectique bien connue.
Les propos de Xavier Driencourt, ancien ambassadeur à Alger, relayés dans un essai publié par Le Figaro, ajoutent une dimension idéologique à cette dynamique conflictuelle. En accusant le régime algérien de chercher à déstabiliser la France, Driencourt donne une légitimité intellectuelle et diplomatique à la logique de tension. Son discours, repris par les réseaux de la droite et de l’extrême droite, renforce un narratif où l’Algérie est désignée comme une menace insidieuse. Il ne s’agit plus d’un simple désaccord bilatéral, mais d’une confrontation de modèles, de mémoires et de souverainetés.
Derrière ces éléments épars se dessine une stratégie de pression à plusieurs étages : utiliser la presse pour faire fuiter des mesures non encore officielles ; susciter des réactions en chaîne au sein des institutions algériennes ; fragiliser les équilibres internes par le soupçon ; accréditer l’idée que certains dignitaires seraient plus exposés que d’autres. En somme, provoquer un lobbying interne, une forme de réorganisation du pouvoir algérien sous contrainte extérieure.
Cette approche n’est pas neuve. Mais elle s’accentue dans un contexte électoral français où l’Algérie reste, pour une partie de la classe politique, un levier symbolique. À l’approche de 2027, chaque tension, chaque parole, chaque incident pourra être instrumentalisé pour flatter un électorat sensible aux thèmes de l’immigration, de la sécurité ou de la mémoire. Plus l’Algérie s’émancipera des anciens réseaux d’influence, plus la France cherchera à s’y engouffrer, non par respect mutuel, mais par réflexe de puissance blessée.
Le pire – ou le plus spectaculaire – semble encore à venir. Car les gestes récents ne sont peut-être que les premières étapes d’un scénario délibérément escalatoire. Les pressions individuelles pourraient devenir collectives, les signaux officieux pourraient se transformer en sanctions officielles, et le champ médiatique français pourrait devenir le théâtre d’une offensive informationnelle contre l’État algérien. L’Algérie est avertie : ce n’est pas une vue de l’esprit, mais un scénario plausible, déjà amorcé, qui demande une réponse stratégique, lucide et cohérente.