Depuis plusieurs mois, les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie traversent une zone de turbulences. Mais ce qui frappe dans la couverture médiatique française, ce n’est pas tant la réalité des tensions que la manière dont elle est mise en scène : comme un feuilleton à rebondissements, fondé sur un récit binaire où l’Algérie joue systématiquement le rôle du partenaire imprévisible.
Une simple revue des titres récents permet d’en mesurer l’effet. Libération titre le 16 mai 2025 :
« Enlèvement en France d’un opposant algérien : quatre nouvelles inculpations ».
France 24 relaie la même affaire avec une tournure identique :
« Enlèvement en France d’un opposant algérien : quatre nouveaux suspects placés en détention ».
Le Point, de son côté, publie un article au ton plus tranchant :
« L’Algérie prête à rétablir la peine de mort » (15 mai 2025), où l’on lit : « une mesure qui se greffe sur l’idée d’une souveraineté menacée, d’une atteinte à l’unité nationale ».
Plus récemment encore, les décisions françaises de restreindre l’usage des passeports diplomatiques algériens ont été couvertes ainsi :
- « Les Algériens détenteurs de passeports diplomatiques devront désormais détenir un visa » (Le Figaro, 17 mai 2025)
- « Tensions Paris – Alger : les Algériens détenteurs de passeports diplomatiques dans le viseur » (Le Parisien, 17 mai 2025)
- « Après les espions, Paris s’attaque aux détenteurs de passeports » (Intelligence Online, 16 mai 2025)
Ces titres ont pour point commun un vocabulaire martial, conflictuel, voire menaçant. L’Algérie y est décrite comme un problème à gérer, une entité hostile ou radicale, rarement comme un partenaire diplomatique avec ses raisons, ses intérêts et ses revendications.
Or, peu de médias prennent le temps d’analyser les causes profondes de ces décisions algériennes, souvent motivées par des logiques de réciprocité, de souveraineté ou de volonté d’émancipation post-coloniale. Les médias français n’accordent qu’une place marginale aux points de vue algériens, qu’ils soient officiels ou issus de la société civile.
Le résultat est une construction narrative où chaque épisode vient confirmer l’idée d’une rupture inéluctable. L’Algérie devient, dans l’imaginaire médiatique, un pays durcissant ses positions, tournant le dos à la France et sacrifiant le lien historique. L’article de Marianne intitulé « L’Algérie règle ses comptes avec la France et sacrifie la langue du colonisateur » (15 mai 2025) en est un exemple éloquent. La complexité de la réforme linguistique en Algérie y est ramenée à un règlement de compte idéologique.
Entretenir le récit de la rupture, c’est figer l’histoire dans une logique de confrontation permanente, où la complexité des liens humains, culturels, économiques et historiques est effacée au profit de la tension scénarisée. Or, cette tension n’est pas une fatalité. Elle est aussi le produit d’un traitement médiatique qui gagnerait à être rééquilibré, pluraliste, et respectueux des voix algériennes.