À parcourir les titres récents de la presse française consacrés à l’Algérie, un schéma récurrent émerge. Trois types d’actualités dominent largement : les affaires d’enlèvements ou d’opposants, les annonces judiciaires radicales (comme la peine de mort), et les tensions diplomatiques avec la France. Ce triptyque constitue les piliers d’un récit stéréotypé, où l’Algérie est systématiquement ramenée à l’autoritarisme, à la violence, ou à l’antagonisme.
L’enlèvement comme figure de l’ombre
L’affaire de l’opposant algérien enlevé en France, en mai 2025, a été traitée comme un événement central dans les grands médias :
- France 24 : « Enlèvement en France d’un opposant algérien : quatre nouveaux suspects placés en détention »
- Libération : « Affaire de l’opposant algérien enlevé : les zones d’ombre persistent »
- Le Figaro : « Espionnage, enlèvement, intimidation : la stratégie trouble de l’Algérie »
L’événement est grave, bien sûr. Mais son traitement a rapidement quitté le terrain de l’enquête judiciaire pour devenir un support à un récit généralisant sur l’Algérie en tant qu’État mafieux ou autoritaire. Aucun de ces articles ne mentionne l’absence de réaction officielle algérienne ou ne donne la parole à des experts algériens indépendants.
La peine de mort : l’annonce sans contexte
Le 15 mai 2025, Le Point titrait :
« L’Algérie prête à rétablir la peine de mort ».
L’article évoquait une proposition émise par certains députés algériens à la suite d’un crime atroce contre un enfant.
Mais là encore :
- Aucun éclairage sur les cadres juridiques actuels (la peine de mort est suspendue depuis 1993).
- Aucune mention du débat interne, où juristes, religieux et militants algériens ont publiquement rejeté cette mesure.
- Aucune comparaison avec d’autres pays qui maintiennent cette peine dans leur droit sans que cela fasse la une (États-Unis, Inde, Chine…).
Le titre suggère une bascule vers la barbarie, sans regard critique sur les mécanismes de récupération émotionnelle qui existent aussi en France.
Les tensions diplomatiques : l’obsession bilatérale
Sur la question des passeports diplomatiques, du français à l’école ou des visas, la même mécanique est à l’œuvre :
- Marianne, 15 mai : « L’Algérie règle ses comptes avec la France »
- Le Parisien : « Tensions Paris – Alger : les détenteurs de passeports dans le viseur »
La diplomatie est réduite à une dramaturgie : riposte, provocation, affront, humiliation. On n’y lit jamais les logiques stratégiques algériennes, ni les déséquilibres historiques accumulés. Tout est ramené à une narration affective : Alger nous en veut.
Pourquoi ce triptyque fonctionne si bien ?
Parce qu’il rassure les automatismes de lecture d’un lectorat français habitué à percevoir l’Algérie comme :
- menaçante (enlèvements),
- archaïque (peine de mort),
- ingrate (tensions diplomatiques).
C’est un récit simple, émotionnel, et recyclable. Mais c’est aussi un récit dangereux, car il fige un pays de 45 millions d’habitants dans trois stéréotypes qui n’expliquent rien, n’apprennent rien, et préparent mal l’avenir.
Conclusion
L’Algérie ne se résume pas à trois mots-clés. Continuer à structurer l’information autour d’un triptyque anxiogène, c’est insulter la complexité d’une société en mutation, et renoncer à ce que le journalisme devrait produire : de la connaissance, pas des automatismes.