Depuis 1962, l’Algérie indépendante n’a cessé de hanter l’espace médiatique français. De l’ex-colonie à l’ennemi présumé, le récit dominant dans la presse a évolué, mais rarement de manière apaisée. Entre fascination, nostalgie, défiance et obsession sécuritaire, les récits médiatiques français ont souvent placé l’Algérie dans une position instable : jamais tout à fait un pays étranger, jamais totalement un partenaire, mais trop souvent un problème.
1960–1980 : Du silence gêné à la menace du Sud
Les premières décennies de l’indépendance algérienne sont marquées par un silence pesant dans la presse française, entre refoulement mémoriel et rejet de l’Algérie révolutionnaire. La presse évite de traiter les crimes coloniaux. L’Algérie du FLN est vue comme un régime autoritaire, allié au bloc soviétique et hostile à l’Occident. Les crises pétrolières et la politique de nationalisation sont commentées comme des actes d’agression économique. Le récit dominant : l’Algérie est une nation ingrate, imprévisible et menaçante.
1980–2000 : L’ère de la violence
Avec la décennie noire des années 1990, l’Algérie devient un sujet récurrent, mais uniquement par le prisme de la violence : titres anxiogènes dans Le Monde, Libération, France 2 : « L’Algérie bascule dans l’horreur », « L’islamisme s’installe à Alger ». La complexité des acteurs algériens (GIA, pouvoir, société civile, diaspora) est souvent effacée au profit d’une vision binaire : le chaos contre la répression. Les Algériens sont décrits comme des victimes ou des bourreaux, rarement comme des citoyens dotés de conscience politique.
2000–2010 : Immigration, mémoire, méfiance
Les années 2000 voient émerger de nouveaux récits, mais toujours orientés : l’Algérie devient un terrain de négociation migratoire (crise des visas, expulsions, sans-papiers). Les débats sur la mémoire coloniale réactivent la tension : « La France doit-elle demander pardon ? », « L’Algérie instrumentalise l’histoire ». Les grands médias oscillent entre défense de la République française et accusation d’obsession mémorielle côté algérien.
2010–2020 : Le retour du politique, vite enterré
Le Hirak de 2019 force brièvement la presse française à s’intéresser à la société civile algérienne, dans un élan salué mais de courte durée. « L’Algérie se soulève dans la dignité », titre Libération. Mais rapidement, les journaux reviennent à la lecture géopolitique : « Le pouvoir algérien se renforce », « L’armée reprend la main ». L’espoir d’un récit plus équilibré retombe face à l’imaginaire du bloc de pouvoir.
2020–2025 : Une menace systémique ?
Aujourd’hui, la plupart des articles sur l’Algérie concernent : des tensions diplomatiques, des affaires de répression, des réformes lues comme hostiles à la France. Exemples récents : « L’Algérie sacrifie la langue du colonisateur » (Marianne, 2025), « Enlèvement en France d’un opposant algérien » (France 24, 2025), « Paris s’attaque aux passeports algériens » (Le Figaro, 2025). Le récit dominant : l’Algérie n’est plus seulement une ex-colonie agitée, mais une menace latente. Elle dérange, elle provoque, elle s’éloigne.
Un récit non linéaire, mais constant
Le fil rouge de ces 60 ans n’est pas la cohérence idéologique, mais la permanence de la défiance. Peu importe les régimes, les orientations ou les crises internes : l’Algérie n’a jamais été traitée comme un pays “normal”. Son statut symbolique en France, entre ex-colonie douloureuse et nation voisine dérangeante, l’enferme dans un imaginaire d’exception problématique.
Conclusion
D’une colonie à une menace : c’est peut-être le récit inconscient que la presse française n’a jamais vraiment déprogrammé. L’enjeu aujourd’hui n’est pas de renverser ce récit dans l’excès inverse, mais de construire enfin une narration lucide, digne, et plurielle. L’Algérie n’est pas un fantôme. C’est un pays. Et il mérite d’être vu comme tel.