Depuis l’indépendance, les mots utilisés par la presse française pour parler de l’Algérie n’ont jamais été neutres. Chaque terme choisi condense un imaginaire, une histoire, une posture. En analysant l’évolution lexicale du discours médiatique, on observe une constance troublante : le vocabulaire reste centré sur le conflit, la défiance et la disqualification.
Du FLN aux « militaires »
Dans les décennies post-indépendance, un mot domine la presse : FLN. Il devient le raccourci commode pour désigner l’État algérien, quelle que soit sa composition réelle. « Le FLN durcit le ton », « Le FLN bloque les négociations », « Le FLN contre les réformes ». Le problème ? Le FLN devient une sorte de monstre impersonnel, coupé du peuple, que les journalistes utilisent comme un synonyme du pouvoir autoritaire.
Dans les années 2000, un nouveau mot prend le relais : les militaires. « Les militaires tiennent le pays », « L’armée contrôle tout ». Là encore, pas de nuances : ni sur le rôle réel de l’armée, ni sur les rapports complexes entre les institutions.
L’apparition du terme « francophobie »
Plus récemment, un terme a fait son apparition de manière insistante : la francophobie. « L’Algérie sacrifie la langue française » (Marianne, 2025), « Une francophobie d’État ? » (Le Point, 2022), « L’Algérie veut rompre avec la France, jusqu’à sa langue » (France Info, 2023) Ce mot suppose une intention agressive : non pas se distancier, mais haïr. Il inverse le rapport de domination : c’est désormais l’ancienne colonie qui est accusée d’intolérance, voire de racisme culturel.
Des mots qui ferment le dialogue
Ces termes — FLN, les militaires, francophobie — sont lourds de sous-entendus. Ils empêchent de penser l’Algérie en termes institutionnels ou sociaux modernes ; ils empêchent de différencier les courants politiques, les débats internes, les lignes de fracture ; ils transforment la relation avec la France en psychodrame permanent. Les mots agissent comme des filtres. Ils sélectionnent ce qu’on peut dire… et ce qu’on ne verra pas.
D’autres mots problématiques
« Régler ses comptes », implique vengeance, irrationalité. « Sacrifier », suppose un acte destructeur, presque barbare. « Hostilité », « raidissement », « fermeture », termes récurrents pour qualifier des décisions souveraines. Même des mots comme « repentance », « ressentiment », « nostalgie » sont souvent attribués à l’Algérie, jamais à la France.
Et ce qu’on ne dit jamais…
On ne parle presque jamais de réformes institutionnelles en Algérie. Le mot jeunesse n’apparaît que dans les dossiers sur la migration. Le terme démocratie est utilisé uniquement en négatif : « démocratie bloquée », « démocratie impossible ». L’absence de certains mots en dit autant que l’usage des autres.
Conclusion
Les mots ne sont pas des détails : ce sont des structures de pensée. En continuant à décrire l’Algérie avec un lexique hérité de la guerre d’indépendance, la presse française perpétue une vision figée, conflictuelle, et largement inexacte.
Il est temps de changer le dictionnaire. Et de redonner à l’Algérie, dans le langage comme dans les faits, la place d’un pays souverain, complexe… et respectable.