Depuis plusieurs années, la presse française alimente un récit dans lequel chaque décision algérienne touchant à la France — même symboliquement — est interprétée comme un acte de rupture, voire d’hostilité. Loin d’analyser ces décisions dans leur complexité politique, sociale ou historique, une partie des médias opère une simplification systématique, qui transforme la politique algérienne en réaction permanente contre la France.
Prenons deux cas récents, abondamment traités :
L’affaire des passeports diplomatiques : le soupçon permanent
En mai 2025, la décision des autorités françaises de restreindre l’accès sans visa aux détenteurs de passeports diplomatiques algériens a été largement médiatisée.
Les titres se suivent et se ressemblent :
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Le Figaro, 17 mai : « Les Algériens détenteurs de passeports diplomatiques devront désormais détenir un visa ».
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Le Parisien : « Tensions Paris – Alger : les détenteurs de passeports dans le viseur ».
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Intelligence Online : « Après les espions, Paris s’attaque aux détenteurs de passeports » (16 mai).
Ces articles évoquent à demi-mot une suspicion généralisée envers les diplomates algériens, dans le sillage de récentes accusations d’espionnage. Mais aucun de ces textes ne donne réellement la parole à la partie algérienne, ni ne cherche à comprendre pourquoi de telles tensions surgissent à intervalles réguliers, dans un contexte de refroidissement bilatéral plus large.
La question du français : une obsession franco-française
Quelques jours plus tôt, une décision du ministère algérien de l’Éducation annonçait le report de l’enseignement du français à une classe supérieure, dans le cadre d’un réaménagement linguistique. Là encore, la presse française a immédiatement interprété cette mesure comme un geste hostile.
Exemples :
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Marianne, 15 mai : « L’Algérie règle ses comptes avec la France et sacrifie la langue du colonisateur ».
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France Info, 14 mai : « Apprentissage du français repoussé : polémique en Algérie, inquiétudes en France ».
On observe une incapacité à concevoir que des choix éducatifs puissent être guidés par une logique interne propre — maîtrise de l’arabe, affirmation identitaire, ou volonté de rééquilibrage linguistique — sans qu’ils soient systématiquement lus comme un rejet de la France.
Une lecture obsédée par le face-à-face
Derrière ces deux affaires, c’est la même structure narrative qui se répète :
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L’Algérie agit = la France est visée.
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L’Algérie réforme = la France est contestée.
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L’Algérie parle d’elle = la France y voit une attaque.
Ce mécanisme produit une fiction diplomatique continue, où toute action algérienne devient suspecte si elle ne s’aligne pas sur les intérêts ou les symboles français.
Pourquoi cette obsession du conflit ?
Plusieurs éléments l’expliquent :
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Une mémoire coloniale mal digérée, où toute autonomie algérienne est encore perçue comme une désobéissance.
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Une presse en quête de tensions lisibles, préférant les récits binaires aux analyses complexes.
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Une perte d’influence réelle de la France en Algérie, compensée par un surinvestissement symbolique dans les journaux.
Des conséquences sur la perception mutuelle
Ce type de couverture médiatique a des effets durables :
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Elle nourrit un ressentiment croissant côté algérien, qui se sent incompris, caricaturé, voire insulté.
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Elle empêche l’opinion publique française de penser l’Algérie autrement que comme un pays réactionnaire.
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Elle fossilise les relations diplomatiques en alimentant un climat de méfiance structurelle.
Conclusion
De l’affaire des passeports à celle du français, la presse française semble incapable d’accepter une Algérie souveraine, autonome dans ses choix, et non centrée sur la France. Cette obsession de la confrontation ne dit pas tant quelque chose sur l’Algérie, que sur la difficulté française à accepter la fin d’un lien vertical. Il est temps de sortir de ce prisme blessant — pour penser l’Algérie autrement qu’en miroir de nos propres projections.