Dans les articles français consacrés à l’Algérie, une chose manque souvent : les Algériens eux-mêmes. Non pas en tant qu’objet d’analyse ou cible de critique, mais comme sujets, témoins, penseurs, analystes de leur propre société. Ce silence éditorial n’est pas anodin : il oriente la perception et réduit l’Algérie à une figure passive, observée à distance.
Une parole confisquéeDans la couverture des récents événements liés à l’Algérie, la parole algérienne est quasiment absente
Sur la réforme de l’enseignement du français, aucun média n’a interrogé d’enseignant, de linguiste ou de parent d’élève algérien. Lors de l’affaire de l’opposant enlevé, seuls les magistrats français, les policiers et parfois l’avocat de la victime ont été cités. Pas un mot sur les réactions en Algérie — ni de la société civile, ni de la presse locale, ni des autorités. Sur le retour évoqué de la peine de mort, aucune voix religieuse, juridique ou associative algérienne n’est venue nuancer ou expliquer le contexte du débat. Le résultat ? Une Algérie construite à travers les yeux français, mais vidée de sa substance.
Un pays parlé, mais jamais parlant
Cette absence de voix locales est révélatrice de deux dynamiques profondes. Un regard postcolonial qui subsiste, l’Algérien est souvent décrit, interprété, voire “diagnostiqué”. Mais rarement entendu. Il est “celui dont on parle”, non “celui qui parle”. Un journalisme en déficit de correspondants locaux, faute de reporters sur place ou de partenariats durables avec des médias algériens, la presse française fonctionne en vase clos, à partir de dépêches ou de communiqués.
Qui pourrait-on entendre ?
Pourtant, les voix ne manquent pas : des chercheurs et intellectuels comme Nacer Djabi, Malika Rahal ou Kamel Daoud lui-même. Des journalistes algériens indépendants (Radio M, TSA, El Watan…). Des militants de terrain, des femmes engagées, des artistes, des syndicalistes, des chefs d’entreprise, des jeunes diasporiques. Les ignorer revient à entretenir un monologue franco-français sur l’Algérie, dans lequel l’autre n’existe que comme prétexte à analyse.
Une perte pour le lectorat
L’absence de voix algériennes ne nuit pas seulement à l’Algérie : elle appauvrit aussi la compréhension des lecteurs français. Elle prive le public : de la nuance, de la diversité des points de vue, d’un dialogue possible entre sociétés civiles. Et alimente à la place une vision monolithique, dangereusement proche de la caricature.
Conclusion
Rendre la parole aux Algériens, c’est cesser de parler à leur place. C’est aussi un impératif éthique et journalistique. Car un pays sans voix propre est un pays que l’on réduit — parfois malgré soi — au silence de l’image figée.