L’œuvre de Mohammed Lakhdar-Hamina s’inscrit dans un moment fondateur de l’histoire algérienne : celui de l’indépendance et des premières années de construction nationale. Dans les années 1960 et 1970, l’Algérie, fraîchement libérée du joug colonial, cherche à se doter d’un récit propre, loin des représentations françaises, et le cinéma devient un instrument puissant de cette quête de souveraineté culturelle. C’est dans ce contexte que Hamina émerge, au sein d’un courant plus large de cinéastes du tiers-monde qui voient le 7e art comme une arme d’affirmation identitaire et politique.
Son passage par l’Académie du film de Prague, dans la République socialiste tchécoslovaque, le met en contact avec les courants néoréalistes italiens (Rossellini, De Sica) et le « nouveau cinéma » d’Europe de l’Est, plus politique, plus sobre, souvent marqué par l’économie de moyens et l’esthétique du quotidien. Cette école lui enseigne que le cinéma peut parler du peuple sans le trahir, en captant ses gestes, ses silences, ses regards. On retrouve dans son œuvre cette rigueur visuelle, ce refus du spectaculaire au profit d’un ancrage organique dans le réel.
Lakhdar-Hamina s’inscrit également, consciemment ou non, dans la lignée des cinéastes soviétiques des années 1920-30 (Eisenstein, Dovjenko), pour qui le cinéma était un outil de narration collective, avec un usage très expressif des visages, des foules, des plans larges. Mais il s’en détache par une sensibilité proprement algérienne : chez lui, les visages ne sont pas seulement porteurs de message idéologique, ils racontent une douleur intime, une mémoire transmise de génération en génération.
Ses paysages ne sont jamais neutres. Qu’il filme les Aurès, Alger ou un village anonyme, la caméra épouse le relief, le vent, la poussière, comme si la terre elle-même participait au récit. Il y a chez Hamina une volonté de faire du paysage un personnage, au même titre que ses protagonistes. Les plans larges ne servent pas à esthétiser, mais à replacer l’humain dans un environnement souvent hostile, écrasant, plus vaste que lui.
Quant aux acteurs, Lakhdar-Hamina les dirige avec économie. Il privilégie souvent des non-professionnels ou des comédiens peu connus, et leur demande de jouer sans emphase, sans exagération. Il ne cherche pas la performance, mais la vérité. Dans Le Vent des Aurès, la douleur de la mère est transmise moins par des mots que par des gestes lents, des regards obstinés. Dans Hassan Terro, c’est l’absurde et le burlesque qui dominent, mais toujours avec un sens aigu de l’observation sociale.
L’ensemble de son œuvre porte un regard grave, mais jamais misérabiliste. Il filme une Algérie en devenir, marquée par la lutte, l’errance, la résistance, mais aussi par l’humour, l’ironie, et parfois même l’autodérision. Ce regard, forgé entre Prague, Alger et le terrain, fait de Mohammed Lakhdar-Hamina un cinéaste du peuple sans populisme, un conteur d’histoire sans drapeau, un artisan de la mémoire algérienne dans toute sa complexité.