À force d’être scrutée, critiquée, suspectée, l’Algérie a fini par devenir dans la presse française un “objet” : un pays dont on parle beaucoup, mais sans jamais vraiment lui reconnaître une volonté propre, une pluralité interne, ou une subjectivité politique. Le résultat est paradoxal : l’Algérie est omniprésente… mais dépossédée.
Un objet de discours, pas un acteur
Dans les récits médiatiques dominants, l’Algérie est souvent : évaluée (“prête à rétablir la peine de mort”), accusée (“règle ses comptes avec la France”), scrutée (“tensions sur les passeports”), décrite (“sacrifie la langue du colonisateur”). Mais elle est rarement sujette de son propre récit. Même les expressions grammaticales le montrent : “L’Algérie dérive”, “l’Algérie se ferme”, “l’Algérie attaque” — sans que le “qui”, le “comment”, ou le “pourquoi” soient précisés. C’est l’effet “objet” : on regarde, on juge, on projette. Mais on ne laisse pas vivre.
Une absence de parole assumée
Cette logique s’accompagne d’une invisibilisation des dynamiques internes algériennes : le débat parlementaire autour de la peine de mort a été réduit à un projet d’État brutal, sans mention des contestations locales. La réforme linguistique a été ramenée à une vengeance postcoloniale, sans aucune lecture pédagogique, sociologique ou stratégique. Les tensions diplomatiques ont été narrées comme des caprices ou des provocations, sans prendre en compte les logiques de réciprocité, de fierté nationale ou de repositionnement géopolitique. Ce refus d’analyser les faits depuis l’intérieur du pays alimente l’illusion d’un État opaque, fermé, illisible.
Un héritage inconscient du regard colonial ?
Le regard qui transforme un pays en objet est rarement neutre. Il reproduit, même inconsciemment : une hiérarchie implicite entre “nous qui regardons” et “eux qui sont regardés”. Une vieille posture française vis-à-vis de l’Algérie : celle du pays qu’on interprète, qu’on surveille, qu’on redresse, mais qu’on n’écoute pas. Même les médias se voulant progressistes tombent parfois dans ce piège, en parlant “de” l’Algérie sans jamais parler “avec” elle.
Une conséquence majeure : le rejet croissant
Cette posture provoque chez beaucoup d’Algériens, et plus largement dans la diaspora : un sentiment d’injustice médiatique, une perte de confiance dans les médias français, une radicalisation du discours de rejet, parfois exacerbée dans les milieux jeunes. Ce n’est pas l’Algérie qui rejette le dialogue, mais le traitement qu’on lui impose qui le rend impossible.
Conclusion
Un pays n’est pas un objet. L’Algérie est un acteur, avec ses débats, ses erreurs, ses stratégies, ses voix. La réduire à une figure passive, problématique, à surveiller ou dénoncer, c’est refuser de la voir pour ce qu’elle est : une société complexe, traversée par des tensions mais capable d’initiative, de nuance et de dialogue.
Il est temps de cesser de regarder l’Algérie comme une entité sans sujet, et de commencer à l’écouter pour ce qu’elle dit, ce qu’elle fait — et ce qu’elle est.